XVII et XVIIIème siècles

Les bourgeois d'Arbère lès-Divonne

Les noms suivis de chiffres font l'objet d'une note consultable par clic gauche


Claude Quinat, encore indivis avec Louis jusqu’en 1581, prend ensuite son indépendance et vient s’établir à Divonne en cette fin troublée du XVIème siècle, fondant ainsi la branche de Divonne dont nous descendons. Il est le premier Quinat à y habiter car on n’y a trouvé aucune présence de prédécesseurs dans les différents dénombrements faits au XVI ème siècle. Divonne est alors un village relativement important dont la population, après avoir décru au cours du siècle, suite à la famine et à la peste, de 180 « feux » (ou foyers), jusqu’aux environs d’une centaine, remonte progressivement jusqu’à 140 feux, soit environ 700 habitants, vers 1700.
Par ailleurs, la branche de Vesancy se perpétue jusqu’au début du 19ème siècle (dernière naissance enregistrée dans le village en 1809) puis principalement à Gex. Propriétaires de terres importantes au XVII ème siècle, horlogers, leur situation se dégrade ensuite peu après leur déplacement à Gex où, après une période de charpentiers, on les retrouve comme simples journaliers: entre 1805 et 1810, on relève les condamnations pour délits forestiers de, successivement, Jean, Nicolas et Marie, tous trois journaliers à Gex. La généalogie en a été dressée jusqu’en fin de XIX ème (limite de la consultation possible des Etats civils), le dernier descendant sur place ayant été un Félix Quinat, décédé en 1943, dont la tombe est encore au nouveau cimetière de Gex. La descendance de cette branche a été suivie jusqu'en début du XXème siècle, mais nous ne nous intéresserons plus, par la suite de ce chapitre, qu’à la branche de Divonne.
Claude meurt à Divonne en 1601, ce qui donne lieu à trois nouvelles reconnaissances faites par son fils aîné
Jean V(7.3) : une au nom de Pernette Biondet, sa mère, une au nom de son épouse Claudine Baud et une autre en son nom propre et en celui de son frère Mermet(7.4) .Ce dernier meurt peu de temps après puisque sa veuve se remarie en 1603. Ces trois reconnaissances nous renseignent à nouveau sur les biens reconnus qui ont augmenté considérablement, en partie grâce à l'héritage Biondet. On y apprend aussi que les deux frères ont été nommés " compagnons " le 25 janvier 1595, ce qui leur vaut d'être désignés par l'avant-nom d'honorables.

Les reconnaissances suivantes datent de 1617. Elles sont faites par Claudine Baud veuve de Jean V, l'une en son nom, l'autre en ceux de ses fils Pierre(8.1), JeanJaques (Jean-Jacques 1er)(8.2) et Augustin(8.3). En 1626, ils font une reconnaissance qui étend leur domaine à des terres dépendant de l'abbaye de Bonmont en Suisse, notamment d'importants pâturages en montagne. On perd la trace de Pierre après 1626. Augustin est " maître horlogeur " à Divonne et à Gex. Jeanjaques 1er est le plus en vue : en 1635, il est procureur syndic de Divonne, fonction qui, avant la Révolution, correspondait à celle de maire. Les deux frères sont des personnalités qui comptent dans le village ; ils remplacent souvent le notaire pour certains actes, rédigeant et signant les dits actes comme sur le document ci-dessous (ce sont les premiers Quinat dont on ait conservé l'écriture). Ils sont également témoins de nombreux évènements, baptêmes, reconnaissances, amodiations . Lui, ou plus probablement, son fils Jean Gaspard(9.1), s'installe à Arbère (anciennement Arberouz), petit village attenant à Divonne et aujourd'hui faisant partie de la même commune. Les avant-noms d'honorable, d'honnête ou de sieur continueront à qualifier le nom des Quinat d'Arbère jusqu'à la Révolution, ce qui indique qu'ils y ont conservé une certaine notoriété. Les femmes de la famille sont également qualifiées d'honorables ou d'honnêtes.

En 1673, Jean Jacques 1er rédige un testament qui nous renseigne sur sa fortune. Il lègue en effet à son petit-fils une vigne de un hectare et demi située à Nyon, petite ville à 15 km et actuellement en Suisse, trente florins aux pauvres de la religion réformée, quatre mille florins à sa fille Gabrielle(9.5), la même somme plus la maison et une terre de moins de un hectare à son fils Jean Gaspard, enfin les fruits et usufruits de tous ses biens à sa femme pourvu qu'elle ne se remarie pas. On n'a malheureusement pas le dénombrement de ses terres mais sa fortune devait être considérable pour qu'elle dégage des sommes aussi importantes au profit de ses enfants. Dans le recensement de 1550 précité, la fortune la plus importante de Divonne n'était que de 3500 florins. (Pour donner une idée de la valeur du florin, l'hectare de terre valait à cette époque entre 15 et 60 florins suivant sa qualité).

Le partage entre Jean Gaspard et sa sœur Gabrielle, en 1681, nous renseigne mieux sur les biens immobiliers de leur père Jean Jacques : outre une maison située à Arbère, une grange et ses dépendances ils consistent en environ huit hectares de prés et de terres labourables.

En 1680, JeanGaspard est noté comme Syndic de Divonne et doté de l'avant-nom de Sieur en 1685. Il avait donc succédé à son père dans cette fonction. De plus, il n'exploite plus certaines de ses terres directement mais les loue.

En 1687, on est renseigné sur le métier de son fils Jeanjaques (10.2)(Jean Jacques II), : comme " maître lapidaire ", il prend en apprentissage un certain Godemar de Genève. Il est plaisant de penser que nos ancêtres ont pu enseigner aux Suisses l'art de l'horlogerie et de la taille des pierres précieuses. Un an auparavant, son cousin Pierre, de Vesancy, est également qualifié du même titre au mariage de son fils JeanFrançois. Ce devait être un métier familial avec celui d'horloger et probablement l'origine de la fortune de la famille.

Les Quinat sont alors bien intégrés à Arbère : Jean Gaspard se marie avec Jacquemine Debluet et son fils Jean Jacques II avec Lucrèce Goudard : les familles Debluet et Goudard sont des familles éminentes du village, établies à Arbère avant 1550, vivant dans la proximité du château, les premiers étant à l'époque meuniers et les seconds notaires et métayers.

Le partage entre ses fils, Jean Michel et Pierre Louis en 1731 nous livre la teneur de ses biens immobiliers: outre une maison située à Divonne, une grange et ses dépendances, ils consistent en 18 hectares de prés et de terres labourables, une vigne et un bois de châtaigniers. Il semble donc que la famille soit retournée à Divonne.

Reprise des guerres de religion .
A partir de 1601, Henry IV a tenté de ramener la paix religieuse mais tout au long du XVIIe siècle, les évêques d'Annecy entreprirent de ramener le bailliage à la religion catholique par une succession de vexations, bien que la RPR fut restée la religion dominante (les catholiques ne représentaient que moins de dix pour cent des gessiens, mais ce sont eux qui disposaient du pouvoir politique à Dijon). Les réformés se virent peu à peu dépouillés de leurs temples rendus au culte de « la vraie religion », de leurs terres et de leurs revenus. Les temples ont été reconstruits à partir de 1613 pendant quelques années de calme apparent. A partir de 1632, le prince de Condé devint gouverneur de Bourgogne et reprit les vexations et arrêtés abusifs jusqu’à l’ordre de destruction des temples en 1662. Deux seuls furent épargnés dont celui de Fernex (aujourd’hui Ferney-Voltaire) dans lequel les divonnais étaient encore autorisés à pratiquer leur culte. C’est ainsi que les baptêmes, mariages et sépultures sont enregistrés au temple de Divonne jusqu’en début de 1662, puis à celui de Fernex jusqu’en 1685.
En même temps, de nombreuses missions incitèrent les Divonnais à abjurer. Après avoir «résisté » de 1601 à 1685, les Gessiens furent sommés de se convertir à partir de la révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV. Certains émigrèrent, environ 40% des habitants de Divonne, seulement 10 % de ceux d’Arbère. Nombreux sont les Gessiens qui partirent vers le nord pour retrouver des populations plus accueillantes à leurs idées. C’est probablement la raison pour laquelle on retrouve des Quinat en Moselle près du Luxembourg, dans les Ardennes et en Allemagne, près de Munich (Johan Friedrich Quinat est éditeur de musique à Gottingen en 1740).
Les abjurations furent massives mais la résistance a continué dans la clandestinité pendant de longues années. Aujourd’hui encore, une communauté protestante reste relativement active.

Abjurations: Chez les Quinat on trouve les abjurations de la femme de Jean Gaspard en 1685, du Sieur Quinat (probablement Jean Gaspard) et de ses trois filles en 1686 puis de Jaqueline en 1692 ainsi que de Jeanne Marie (ce qui était peut-être pour elle un préalable à son mariage avec le Notaire royal et châtelain de Divonne Joseph Gobet) : c'est assez peu compte tenu du nombre d'ancêtres vivant à cette période. Ceci peut expliquer qu'entre 1668, date de reprise des registres catholiques, et 1694, il n'y est inscrit aucun évènement familial. Ils ont été enregistrés, soit sur les documents protestants gessois qui ont malheureusement disparu, soit dans les villages protestants suisses les plus proches: Crassy, Commugny, et surtout Nyon ; on y note en effet un grand nombre de mariages et de naissances chez des " résistants " restés en France. Entre 1669 et 1688 on relève, rien qu'à Nyon, les mariages de Gabrielle, de Jean François, les naissances de Jeanne Françoise, Jaqueline, Juliane et Charles Aymé. On y note également le mariage d'un Quinat " réfugié ". Les premiers baptêmes catholiques de la famille ont lieu en 1690 chez des filles suivis en 1695 de celui de Jean Michel(11.2), fils de Jean Jaques II, lui-même premier à se marier à l'église de Divonne en 1694.

Retour à Divonne: A la suite de Jean Jacques II (né vers 1660), qui est retourné vivre à Divonne et qui était à l’apogée de la situation sociale de la famille au début du XVIII ème siècle, nous trouvons :
- Jean Michel Quinat, cité ci-dessus qui était probablement laboureur et vivait de ses terres.
Nous n’avons pas plus d’information à son sujet. Il a hérité d’une maison à Divonne, en copropriété avec son frère et de moins de neuf hectares de terres.
- Pierre Louis, son frère: après avoir guerroyé à partir de 1733 « pour le service du roy, dans le régiment d’Infanterie de Condé », il s’est marié en 1736, a eu six enfants de deux lits différents, tous décédés avant lui-même : il a fait son testament en faveur des enfants de son frère , Barthélemy et Etiennette.

- Barthélemy(12.4) qui est qualifié soit de laboureur soit de maître cordonnier, deux métiers qui étaient souvent menés de pair. En 1781, à la suite de l’héritage de son oncle Pierre Louis, il a vendu une maison pour se désengager d’une dette qu’il a contractée auprès d’un marchand lapidaire de Vesancy. L’année suivante, à la veille de sa mort à l’age de 58 ans, il a fait un testament qui ne nous renseigne malheureusement pas sur ses biens. Il en lègue la quasi totalité, sans les détailler, à ses deux fils, Jacques et Pierre. En compensation après sa mort, chacune de leurs trois sœurs obtient par règlement légitime, le versement de seulement 250 livres : sa fortune ne devait donc pas être immense !

- Pierre(13.5): né en 1755, quatrième d’une fratrie de sept enfants, il a commencé par prendre le métier de son père, cordonnier, mais l’a abandonné rapidement, avant son mariage à Grilly, au lieu-dit Mourex (à 5 km de Divonne) avec Marie Poncet, en 1782; on retrouve des ascendants Poncet au même endroit aussi loin que l’on puisse remonter, c’est à dire jusqu’en 1650.
Ils ont eu sept enfants dont le dernier, notre ancêtre Jean Jacques III en 1797.
La mémoire familiale qui nous a été transmise par son arrière petit-fils laisse planer sur lui une réputation un peu sulfureuse. D’après cette mémoire :
- il aurait eu deux frères qui auraient mené une vie de débauche et qui auraient disparu en Suisse à la Révolution ; il a bien eu deux frères mais l’un est mort à 22 ans en 1782, l’autre, Jacques précité, s’est marié en 1784 à Grilly et y a fait régulièrement des enfants (neuf) jusqu’en 1805.
- il aurait décédé avant sa femme, laissant des enfants en bas-age. En réalité, c’est son épouse qui est décédée bien avant lui, son dernier fils n’ayant que cinq ans.
Il est donc plus probable qu’il faisait partie des « débauchés » et que la mémoire familiale a voulu l’effacer prématurément.
Toujours d’après la mémoire familiale sa femme Marie cacha des prêtres réfractaires à la Révolution, fut recherchée de ce fait. Sa tête fut mise à prix. Pourchassée, elle fuit avec son fils et se cacha dans les bois. Elle ne fut pas dénoncée, bien au contraire ses paysans la protégèrent et la nourrirent.
Son décès en 1802 n’a pas été déclaré par son mari mais par son beau-frère Jacques: il est probable que Pierre avait alors délaissé le foyer familial.
Ses sœurs ont été obligées de lui faire un procès pour récupérer les 125 livres qu’il leur devait (son frère Jacques s’était acquitté de sa dette plus volontiers). Sur la fin de sa vie, il avait hypothéqué plusieurs fois ses biens, empruntant à la ronde y compris à ses fils.
Il est mort à Divonne en 1833, à l’age de 78 ans, laissant à ses enfants des dettes importantes dont le remboursement a obligé ses héritiers à emprunter la somme de mille francs pour assumer la succession. Les trois fils, Jean-Jacques III, Louis et Jean-Louis, n’étaient plus propriétaires, en 1848, que de maisons et de terrains, multiples mais assez petits, que l’on peut encore retrouver sur le cadastre Napoléonien de Divonne : cela ne représente effectivement plus grand chose.
Les enfants de Pierre, en dehors de Jean Jacques III, ont été guère brillants : ses deux soeurs, Jeanne louise et Jeanne Marie ont eu des enfants hors mariage, Jean Louis s’est placé comme domestique une grande partie de sa vie.

Avec sa génération, le métier d’artisan a disparu. Le niveau social n’est guère reluisant et les mœurs semblent bien relâchées.